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Le loup de Wall Street (The wolf of Wall Street) – Martin Scorsese – 2013

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1510959_10151873602467106_1323772435_nIvresse dionysiaque.

     9.0   Il faut d’emblée dire que le film est à hauteur de l’attente, qu’il s’annonçait et qu’il est en effet le troisième volet tardif d’une trilogie du gangstérisme entamée avec Les affranchis puis poursuivie avec Casino. Entre-temps (17 ans) certains ont perdu Scorsese, le Scorsese que l’on aime, celui de ces fresques sommes, violentes, bavardes, complexes. Restent quelques beaux films, malgré tout : Gangs of New York, Shutter Island. Et quelques films moyens : Aviator, Les infiltrés. Intéressant de constater que Leonardo Di Caprio fait chaque fois partie du projet. Toujours acteur principal. On aurait pu croire à une nouvelle ère, inégale, décevante, où le cinéaste ne rééditerait plus aucun véritable chef d’œuvre. On n’ira pas jusqu’à dire que Scorsese est l’homme d’un film (Les affranchis) comme Oliver Stone fut l’homme de JFK, mais on n’en est pas loin. Et c’est avec bonheur que l’on peut dire que Scorsese sera donc au moins le cinéaste d’une trilogie englobant ces trois films flamboyants, ce qui est déjà énorme.

     Le loup de Wall Street est donc le plus grand Scorsese depuis Casino ! Eh oui, pas moins ! Quel cinéaste aujourd’hui à part lui, peut nous servir un mets si barré, loufoque et survolté tout en restant extrêmement limpide ? Le film se cale à merveille sur son personnage qui ne sait vivre que dans l’excès, l’adrénaline. Etre ô combien pathétique, que le cinéaste filme avec la même empathie qui couvrait le personnage de Casino, apprivoisant sans cesse son point de vue, à tel point que le film peut souffrir d’une certaine complaisance bien que cette façon de procéder fut toujours maître chez Scorsese, critique subtil qui ne prend jamais de haut ses personnages ni les modes de vies dont ceux-ci se moquent. La scène la plus emblématique est bien entendu ici celle du faux discours d’adieu, avec cette condescendance minable pour une employée modèle que Jordan se vante d’avoir tiré d’une condition modeste en lui prêtant beaucoup d’argent. Scène très gênante, dans laquelle on sent presque que le cinéaste voudrait nous appesantir sur la bonté du personnage, avant que le tire larmes ne soient relayé par une frénésie collective terrifiante, endiablée par une danse tribale reprenant le crédo rythmique de son collègue (Matthew McConaughey n’a que deux scènes, il est extraordinaire) de ses débuts dans une entreprise de Wall Street qui fit faillite un jour de krach.

     C’est donc une fresque folle de trois heures comme l’était avant elle la chaîne Les affranchis/Casino dont il semble être le troisième maillon. Trois heures qui passent comme une seule, aussi drôles que pathétiques, dévoilant des séquences mémorables à l’image de celle du bad trip aux amphétamines périmées (où le corps de Di Caprio convoque ceux de Jim Carrey ou de Buster Keaton). Une scène qui en dit long sur l’ambiance sex&drug qui draine le film loin des rapports de force et des rencontres mafieuses qui traversaient les années 50 puis les seventies. Il est intéressant de comparer les trois films dans la mesure où leur construction est absolument identique, mais ils diffèrent dans l’utilisation de cet instrument de pouvoir qu’est l’argent et la représentation de la violence. C’était une cause à effet dans Les affranchis, où le pouvoir était engendré par les actes les plus illégaux, un grand trafic concret, de rencontres, de relais, de passation entre les pontes. Casino montrait l’argent en tant que tel, le jeu et le fric dans chaque plan, le gangstérisme était devenu légal, enfin disons que les intentions capitalistes de base l’étaient et Las Vegas était son plus fidèle représentant. Le loup de Wall Street ne montre plus d’argent ou très peu de sa circulation, réduit à être jeté en boule dans une poubelle, à servir de sous-vêtements pour passer les douanes, caché dans des valises afin d’être protégé dans une banque suisse. Il n’y a plus que spéculation, l’argent n’a plus de valeur réelle, Jordan le dit bien face caméra « je sais que vous n’y comprenez rien mais croyez-moi on s’en mettait plein les poches ! ». C’est un enrichissement tellement abstrait que son utilisation est uniquement relayée par le sexe et la drogue. Et que dire des rencontres ? Il n’y en a pour ainsi dire plus, tout est géré par téléphone, à distance, les seuls dangers sont les flics. Tout le reste tient d’une destruction intérieure, mais Casino en était déjà la prémisse.

     Leonardo Di Caprio est immense mais égal à lui-même (et le film est tellement centré sur son personnage qu’il masque forcément les autres) alors parlons plutôt de Jonah Hill. Il y campe une version adoucie de Joe Pesci, non dans la folie qui émane de ce corps en mouvement constant et son verbe prolixe, mais dans la violence et l’imprévisibilité. Ce personnage de second a toujours été une figure emblématique dans la saga Scorsésienne, toujours plus fou, en fin de compte, que le personnage central. Le meilleur ami sur qui on peut compter pour faire ou finir le sale boulot. Ou celui que l’on craint pour ses excès, son appétit parfois trop démesuré. Pesci noyait ses rancoeurs dans des saillies de violences toutes plus improbables les unes que les autres, quand Hill semble naviguer dans un autre monde, complètement perché bien qu’inoffensif. Preuve parfaite lorsque ce dernier se masturbe ouvertement à la première apparition de la future femme de Jordan Belfort ou lorsqu’il s’étouffe avec un morceau de jambon. Dans la seule scène violente où ne sont envoyés que coups de poings, le personnage s’en va même vomir sur la terrasse à la vue du sang. Raide défoncé en permanence c’est d’ailleurs lui qui inculque en premier à Jordan les vices jouissifs du crack. Pesci, dans Casino, entretenait une relation très ambiguë avec Sharon Stone. Hill n’a jamais cette stature là, il est à l’image du reste, détaché de toute réalité – Bien qu’au détour d’une scène extrême, qui rappelle la séquence de piqûre d’adrénaline dans Pulp fiction, on apprenne qu’il est père de famille.

     Ensuite, replaçons le film dans son année 2013 : Dingue de constater à quel point il est aussi l’autre maillon d’une trilogie américaine sur le fantasme consumériste, avec Spring breakers de Harmony Korine et The bling ring de Sofia Coppola. Je trouve le film à ce titre résolument moderne, totalement en son temps, alors qu’il n’aurait pu être qu’un troisième volet dans la lignée de. Il est ce troisième volet. Il est cette suite tant espérée à Casino. Mais il l’est par le prisme des années 2010 et plus particulièrement de cette année 2013. C’était ma dernière séance de cinéma de l’année. C’est une magnifique conclusion.


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